Les milieux de montagne sont particulièrement sensibles au changement climatique, et sont largement étudiés afin de comprendre les fluctuations du climat sur des échelles de temps plus ou moins longues. Ils constituent également des espaces où se mettent en place des activités humaines diverses, qu’il est parfois difficile de qualifier et de quantifier. Dans les Pyrénées, les zones de montagne correspondent depuis plusieurs millénaires à des espaces d’estive. Or, des études récentes suggèrent que le pastoralisme pourrait accélérer les taux d’érosion des versants pâturés. Cependant, aucune étude à ce jour n’a encore permis de strictement corréler pastoralisme et érosion. Répondre à ces questions constitue pourtant un enjeu socio-économique important pour les gestionnaires locaux, qui sont confrontés à des modalités d’usages et de conservation des territoires de montagne. Dans ce contexte, notre étude, qui s’intègre dans le projet MOLECULE, a pour ambition (1) d’identifier des biomarqueurs moléculaires préservés dans les archives naturelles tourbeuses et témoignant des productions fécales, et surtout (2) d’utiliser ces marqueurs pour estimer les pressions pastorales modernes et anciennes. Pour la première fois, nous confrontons des données pastorales textuelles sur le nombre et le type de cheptels (ovins et bovins) ayant fréquenté la tourbière étudiée depuis le début du XXe siècle, avec les concentrations en stanols et acides biliaires, que nous supposons proportionnelles au nombre d’individus producteurs. Vingt-et-un échantillons datés entre AD1915 et AD2009 ont été prélevés sur la carotte de la tourbière pyrénéenne Orry de Théo, localisée au coeur de l’Observatoire Homme Milieu Haut Vicdessos. Aucun acide biliaire, communément utilisé pour différencier les types de cheptels (Tyagi et al., 2008), n’a été détecté. Notre étude s’est donc focalisée sur les stanols, composés supposés moins spécifiques des individus producteurs (Bull et al., 2002). L’analyse d’échantillons frais composites de matières fécales de vache et de moutons en proportions variables nous a permis d’identifier le rapport ethyl-Coprostanol (eCp) sur Coprostanol (Cp) comme le plus pertinent pour distinguer les ovins des bovins. Appliqué aux échantillons sédimentaires, et comparé aux données textuelles, ce ratio semble effectivement refléter les pressions pastorales, notamment en ce qui concerne la fréquentation bovine. En effet, les échantillons dont la matière fécale est produite exclusivement par des ovins présentent une valeur de eCp/Cp plus faible que les échantillons pour lesquels la matière fécale serait d’avantage d’origine bovine. Les productions fécales annuelles des cheptels étudiés ovins et bovins ne sont pas équivalentes. Nous avons donc défini un nouvel indice, le bouse-eq, permettant de convertir un individu en son équivalent en production fécale annuelle. A partir de notre calibration, nous sommes en mesure de convertir le ratio eCp/Cp en “ équivalent fécal ” et donc en proportion ovins/bovins pour chaque échantillon analysé. Pour l’heure, le ratio eCp/Cp reste cependant à confirmer sur davantage d’échantillons et de sites, afin de tenir compte des effets de matrice ou diagenétiques sur la qualité de l’enregistrement moléculaire. A terme, ces résultats pourront être utilisés dans une perspective paléoenvironnementale afin de proposer des reconstitutions quantitatives de la fréquentation pastorale sur un site donné, et donc de reconstituer les trajectoires socio-écologiques adoptées par les sociétés au cours du temps.